Blogueur Invité (3) – Le point de vue du Professeur Rapace

Bonjour à tous,

Mon cher ami le professeur Ignoble me dit souvent : « Toi, tu as tout compris ! ». Mais qu’est-ce que j’ai compris ? Je vais vous le dire.

J’ai surtout compris que l’Université ne nourrissait plus son homme et, sitôt devenu professeur, j’ai ouvert un cabinet dans ma spécialité qui, je peux le dire sans forfanterie, marche aujourd’hui très bien. Si je fumais, je dirais que mon salaire de professeur des universités me sert à payer mes cigarettes … Et je ne suis pas de ces pères qui mégote sur l’argent de poche de ses enfants ; d’ailleurs, plus je leur en donne, plus ils me foutent la paix.

Mais, malgré ma réussite en affaires, je le confesse, j’ai gardé le sens du service public. Je tiens à faire mes 192 heures règlementaires annuelles d’enseignement, sous réserve cependant qu’elles soient programmées d’une année sur l’autre le mercredi matin. Je suis ainsi le reste du temps disponible pour ma clientèle. Vous connaissez la vieille maxime : « Le client n’attend pas ! ». Il m’arrive cependant, parce que justement le client n’attend pas, de devoir m’absenter le mercredi matin mais, pour la continuité du service public, je me fais remplacer par un vieux maître de conférences dévoué. Certes, il n’a pas mes compétences, il n’est à son âge encore que maître de conférences ; il est vrai qu’il s’est complu dans des tâches administratives, il a beaucoup « donné » comme on dit ; mais pourquoi ?  Pour qu’on l’appelle éternellement Monsieur le Directeur ; il a été directeur de département. Quand vous savez que c’est une fonction non rémunérée, vous comprenez qu’on ne se bouscule pas pour l’occuper. Alors il a pu l’exercer longtemps. Enfin, c’est son problème et ça m’arrange bien ! L’important pour moi, c’est que ses compétences soient suffisantes pour qu’il puisse répondre aux questions ridicules de nos étudiants d’aujourd’hui ; le niveau ne cessant de baisser, elles sont bien suffisantes.

Les jaloux, car la réussite en suscite toujours, prétendent que je ne fais pas de recherche parce que je n’ai rien publié depuis ma thèse soutenue il y a maintenant trente ans ; j’étais précoce. Ils oublient que faire de la recherche et publier sont deux choses différentes. De la recherche, j’en fais tous les jours sur les dossiers de mes clients et pour mes clients. Mes chèrs collègues sont-ils assez naïfs pour croire que je vais leur livrer mes résultats sous la forme  d’articles dans leurs revues à comité pour qu’ils me fassent concurrence ? Les gros malins ! J’évite d’ailleurs tout aussi soigneusement d’en dire trop à mes étudiants ; imaginez que l’un d’entre eux me fasse un jour concurrence. La connaissance, c’est de l’argent ; ça aussi, je l’ai compris, mon cher professeur Ignoble.

Les jaloux me  reprochent également de ne pas diriger de thèses … Mais qu’est-ce que rapportent les thèses qu’ils font faire ? Je ne parle pas d’argent, je sais aussi être désintéressé, mais de ce qu’elles apportent à la science - ils en ont plein la bouche de ce mot « science » -, toutes ces thèses auxquelles on accorde systématiquement des félicitations ? Laissez-moi rire ! Elles sont pour la plupart oubliées sitôt soutenues et heureusement ! Au mieux, elles permettent au directeur de thèse de cosigner un papier écrit par le thésard. Ils sont braves les thésards ! Et contents de se faire piller.

Ce que j’ai compris, pour résumer, c’est que l’Université n’est plus l’Université. Si mes collègues avaient comme moi des clients, je suis persuadé qu’ils changeraient leurs comportements. Rien de tel que la sanction du marché ! C’est le marché qui sauvera le service public de l’enseignement supérieur ! Cela aussi je l’ai compris.

Un jaloux agressif m’a dit l’autre jour : « Mais pourquoi tu ne quittes pas l’Université ?». Mais, c’est que je l’aime moi l’Université…

"L'université, telle la femme ingrate, sous-évalue tellement mes compétences, quand elle surestisme tellement celles des autres."

Le professeur rapace

Ps : un grand merci à l'auteur de ce post. C'est beaucoup d'honneur pour nous de le publier !

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