Blogueur invité (1) – Le point de vue de madame Ignoble (née Cruchasse)

Bonjour à tous,

Je voudrais apporter ici un témoignage du Professeur Ignoble. Il y a maintenant 30 ans, j’ai eu le bonheur et la chance de l’épouser. Evidemment, il est un peu maladroit (il oublie chaque année notre anniversaire de mariage). Evidemment, il manque de délicatesse (il ne m’a jamais fait de cadeaux d’anniversaire). Evidemment, il est très occupé (il découche souvent, dormant à son bureau me dit-il). Evidemment, il n’a pas le temps de s’occuper des enfants (il n’a jamais été présent à leur anniversaire, trop occupé par ses doctorantes). Je pourrais multiplier ces exemples, mais mon mari a bon fond et est devenu quelqu’un de très important dans son métier dont je suis très fière. C’est, je le pense sincèrement, un mari attentionné. Mon confesseur, le père Albert, me l’a d’ailleurs confirmé ! Il m'a dit que pour une femme comme moi, avoir un mari de cette qualité était inespéré !

Néanmoins, je suis parfois tracassée par mes enfants. Loin de comprendre l’importance de l’œuvre de leur père, ils tendent à le critiquer abondamment. Ainsi, notre petit dernier qui a 13 ans, Louis-Charles, s’offusque que son père se trompe perpétuellement sur son prénom en l’appelant Charles-Henri. Plutôt que d’être admiratif de la brillante carrière de leur père, plutôt que d’être reconnaissant du train de vie que son dur labeur nous permet d’avoir, nos enfants sont vraiment ingrats. Comme mon mari me le fait souvent remarquer à raison, ce manque de reconnaissance est un des échecs de mon éducation. Je n’ai décidément pas su bien remplir ma mission.

Pour me faire pardonner auprès de mon mari, je le supplée du mieux que je peux. C’est ainsi qu’outre mes fonctions naturelles d’épouse (ménage, cuisine, éducation d’enfants etc.), je n’hésite pas à l’aider à la mesure de mes modestes moyens : je relis tous ces articles, les papiers de ces doctorantes pour lui faire gagner du temps ainsi que ceux qu’il doit réviser et qu’il n’a pas le temps de faire ! Enfin, chaque soir où il nous fait l'honneur de sa rare présence - et où il n'est pas épuisé par une journée harrassante de rendez-vous avec ses doctorantes qui l'ont vidé intellectuellement - je m'évertue à le satisfaire et à le détendre en me pliant à ses plus extravagantes demandes. C'est ainsi que chaque seconde passée en sa présence, m'élève intellectuemment et m'assouplit physiquement. J'ai par exemple appris la semaine passée que des accessoires canins portés par mes soins pouvaient être d'un grand délassement pour mon époux. De la sorte, j’espère me faire pardonner mes nombreuses fautes.

Le génie est un fardeau pour mon époux tant la masse est ignare.

La femme du professeur ignoble